Salut Marg',
Margot a écrit :Il m'arrive de me demander si les gens riches, voire très riches, sont plus vernis que nous en terme de santé.
Intuitivement, je dirais que pas, ou alors de façon très marginale.
Je m'explique, mais je te préviens tout de suite, ça va être long

. Quand nous étions expatriés à Londres (1ère période, 1997-2003, soit pour moi à peine plus d'un an et demi après mon diagnostic), en tant qu'expatriés nous avions une assurance maladie internationale qui nous couvrait... la totale. En gros, on allait où on voulait, même dans des cliniques privées d'autres pays que celui de notre résidence, et la princesse payait tout rubis sur l'ongle sans poser de question.
Dans le même temps, le système public de santé à Londres (NHS pour les intimes, National Health Service), c'était un peu rude quand tu découvrais ça en arrivant de Paris : des toubibs payés par l'Etat, soumis à un objectif strict de rentabilité. Tu arrivais chez le GP (General Practitioner, médecin généraliste quoi) avec le gamin, 2 ans, plein de boutons sur tout le corps et 39,5 de fièvre, la réponse systématique était : "oh,
it must be a virus, let nature do the job, je ne vous prescris rien, attendez juste un semaine et si d'ici-là ça ne s'est pas guéri tout seul
(si le bébé n'est pas mort d'ici là ?), revenez me voir". Pour des jeunes parents français habitués à filer chez le pédiatre au moindre pet de travers et à en repartir au moins avec des antibiotiques (par ailleurs tout à fait inutiles), la pilule était un peu grosse à avaler. Alors pour le gamin, on allait chez un des innombrables pédiatres français qui avaient ouvert leur cabinet privé du côté de South Kensington, qui nous filait nos antibiotiques, notre assurance internationale prenait tout ça en charge et on était content.
En parallèle, nous entendions pis que pendre de la NHS : telle de nos voisines, par ailleurs française elle aussi, avait été contrainte d'accoucher de sa première fille sur un brancard, dans un couloir de la maternité, faute de place disponible dans une salle de travail. Suite de quoi elle s'était retrouvée dans un dortoir d'une vingtaine de lits (+ les couffins des bébés), avec juste un drap qui faisait le tour du lit pour assurer un minimum de vie privée à la mère et son bébé. On avait l'impression d'être revenu au moyen-âge.
Donc quand ma femme a accouché de notre deuxième fils en mars 2001, elle ne s'est pas posé de question, elle est directement allée dans le top du top des cliniques privées de Londres, le Portland Hospital à Westminster (ce qui fait que sur le passeport du gamin, son lieu de naissance est indiqué comme étant Westminster, ce qui provoque toujours l'admiration ébahie de plus d'un préposé à l'immigration). Il n'y avait pas de juste milieu, la société britannique est profondément féodale : tu avais droit soit au traitement des serfs, soit au traitement des seigneurs, pas grand chose entre les deux. Donc tu arrivais en voiture, tu la laissais en vrac devant l'hôpital, les voituriers s'en occupaient, suite de quoi le toubib qui s'occupait de l'accouchement était celui qui avait accouché Cherie Blair (la femme de Tony) du "Millenium Baby" quelques mois auparavant et rien de tout ça ne nous avait coûté le moindre penny. Un grand souvenir de cette naissance était quand j'étais sorti un peu dans le couloir histoire de me remettre de mes émotions : dans la salle d'à côté, c'était
la une des femmes d'un quelconque roi du pétrole du golfe persique qui accouchait, mais Monsieur n'assistait pas à la naissance, il attendait nerveusement dans le couloir, entouré d'une sélection de ses autres épouses.
Je pouvais évidemment profiter d'un tel traitement de faveur pour la prise en charge de ma sep. En fait j'avais quatre choix distincts : soit ne rien faire, soit faire suivre ça par mon GP, soit prendre rendez-vous avec le neurologue dont mon neuro parisien m'avait transmis les coordonnées ("allez le voir, c'est un ami !"), qui n'était autre que le William Ian McDonald qui s'apprêtait à sortir ses critères de diagnostic, soit aller dans le privé. Au début j'étais allé voir le GP, il ne m'avait pas impressionné du tout, ce qui correspondait aux sons de cloche que j'entendais par ailleurs à propos du NHS. Il avait néanmoins réussi à vivement me déconseiller de me faire suivre au Queen Square (l'hôpital où McDonald exerçait) : "n'allez pas là bas, c'est une usine, c'est totalement déshumanisé !" et je l'avais bêtement cru
(ou peut-être pas si bêtement que ça, va savoir).
J'avais finalement décidé de ne pas m'emmerder à aller voir un neuro à Londres, je retournais voir mon neuro parisien une fois de temps en temps (moins d'une fois par an), de toute façon il n'avait pas grand chose à me raconter (entre 1997 et 2003, en trois ou quatre consultations, il n'a
jamais évoqué la possibilité d'un traitement de fond), pourquoi perdrais-je du temps à rencontrer un neuro britiche qui n'aurait rien de plus à me raconter ? J'attendais juste la prochaine poussée, et quand elle arriverait alors j'irais dans le privé. Ce que j'avais fait fin 2000, dans le but illusoire de me faire prescrire un flash de corticoïdes : j'avais choisi de rencontrer la star, Frank Clifford Rose, enfin star sur le papier, parce que pour le reste... Quand je lui avais tendu la lettre (sur papier à en-tête de la Salpé, hein) que mon neuro s'était donné la peine d'écrire en anglais pour dire qui j'étais, il avait décidé... de me rediagnostiquer. Quand il était arrivé au bout de son diagnostic à lui (qui confirmait ma sep, c'était toujours ça), ma poussée était évidemment finie, donc elle n'avait bêtement pas été traitée
(ou peut-être pas si bêtement que ça, va savoir). Je n'étais jamais retourné le revoir.
Ta question me fait également repenser à la façon dont Dominique Farrugia avait obtenu que sa sep soit prise en charge : muni de ce qu'il fallait comme argent et comme notoriété, il était allé voir un ponte de l'Hôpital Américain de Neuilly en lui disant qu'en gros, qu'il se démerdait comme il voulait, mais qu'il lui permette de continuer à vivre la même existence, qui était un peu dissolue, voire extrême. Le toubib lui avait donc prescrit un traitement de fond au long cours à base de corticostéroïdes, ce qui avait provoqué chez Farrugia gonflement caractéristique et prise de poids considérable, genre 60 ou 70 kilos... ce qui avait en grande partie contribué à aggraver son handicap. Je ne pense pas un seul instant qu'un neuro de l'APHP aurait pu se rendre coupable d'une telle énormité.
Bref. Je crois que la plus grande chance que j'ai eue, dans toute cette histoire, c'est d'avoir toujours pu compter sur la clairvoyance de mon bon professeur Gout. Qui était un pur produit de l'AP-HP, pris en charge à 100%, accessible aux plus modestes... Sauf, certes, quand tu venais de Suisse exprès pour le voir

, mais comme je n'ai dû payer qu'une seule consultation de ma poche, sur la durée ça le valait bien. Il faut être pleinement conscient de la chance que les Français ont de pouvoir se faire soigner en France, dans le secteur public.
A bientôt,
JP.