souches d'espoir, sources de controverse
Posté : 26 nov. 2005, 09:43
Souches d’espoir, sources de controverse
par Anne-Marie Desrape
Pour un malade atteint d’un lymphome ou d’une leucémie, une greffe de cellules souches c’est l’inoculation d’un germe d’espoir. Pour les scientifiques, les progrès actuels de la thérapie cellulaire alimentent le rêve de guérir une infinité de maladies. Ainsi, des cellules souches prélevées dans la hanche d’un patient ont servi à réparer son cœur malade. Chez d’autres, des cellules tirées de la moelle osseuse ont été injectées dans les artères coronaires avec des resultants significatifs.
En bref, les découvertes récentes sur les cellules souches laissent entrevoir, dans bien des cas, un retour possible à la vie et la poursuite d’une existence autrement inespérée. La thérapie cellulaire pourrait révolutionner la médecine, ce qui fait dire au biologiste Douglas Melton que le XXIe siècle est « le siècle des cellules ». Il serait toutefois illusoire d’imaginer que le triomphe de la science, quels que soient ses motifs, l’épargne complètement de la polémique.
Réseau de cellules souches
Selon Michael Rudnicki, directeur scientifique du Réseau de cellules souches, les chercheurs canadiens coopèrent activement, ce qui place le Canada dans une position privilégiée pour participer aux percées thérapeutiques futures.Le Canada est l’un des chefs de file de cette recherche pour la vie. Les activités des scientifiques canadiens œuvrant dans le domaine sont coordonnées par le Réseau de cellules souches (RCS), créé en 2001. L’Université d’Ottawa compte parmi les nombreux partenaires de ce Réseau qu’elle loge dans ses propres locaux, et son directeur scientifique, le professeur Michael Rudnicki, a lui-même obtenu un doctorat de cette université.
De l’absence d’identité à la différenciation marquée
Les cellules souches sont des cellules immatures et indifférenciées qui s’autorenouvellent rapidement. Au fur et à mesure qu’elles vieillissent, ces ingénues des premiers jours se spécialisent pour former les cellules du sang, de la moelle, des os, du cerveau et autres. Elles constituent de ce fait la matière première de fabrication pour l’ensemble des organes et des tissus, d’où leur appellation de cellules maîtresses ou cellules primordiales. Il existe deux grands types de cellules souches humaines : les cellules souches embryonnaires (CSE) et les cellules souches adultes (CSA).
Les CSE sont isolées à partir d’embryons surnuméraires lors d’une fécondation in vitro. Il s’agit d’embryons que les mères refusent de faire congeler ou d’embryons impropres à la congélation, autrement dit d’un amas de cellules qui seraient par ailleurs détruites. Ces cellules souches, isolées entre le 5e et 7e jour après la fécondation, sont inaptes à survivre à l’extérieur d’un placenta. Elles ne contiennent pas la moindre parcelle de système nerveux; plus petite qu’un grain de sable, leur taille se compare à un point à la fin d’une ligne. À ce stade, les CSE sont pluripotentes et peuvent alors se différencier dans l’un ou l’autre des quelque 200 types cellulaires qui forment tous les tissus de l’organisme, mais elles sont toutefois incapables d’engendrer un être humain complet.
Les CSA sont celles qui ne proviennent pas d’un embryon. Elles sont présentes dans le cordon ombilical des nouveaux-nés et dans l’organisme adulte. Elles se divisent en deux catégories : les cellules multipotentes et les cellules unipotentes; les premières sont à l’origine de plusieurs types de différenciation et les secondes, limitées à un seul type. Dans l’organisme adulte, elles se trouvent en petites quantités dans de nombreux tissus où elles reposent jusqu’à ce que la maladie ou une blessure déclenche leur activité pour réparer un organe ou régénérer un tissu.
Au secours des cœurs brisés
La particularité des cellules souches, c’est leur indifférenciation qui leur vaut une sorte de plasticité modelable selon des besoins précis de l’organisme. De plus, la méthode du clonage médical, qui se distingue nettement du clonage humain, accentue la souplesse de ces cellules. Il consiste en un transfert nucléaire in vitro au cours duquel le noyau de la cellule souche est extrait et remplacé par celui d’une cellule spécialisée du donneur, prévenant ainsi un rejet après la transplantation.
On connaît l’utilisation des cellules souches dans des cas de lymphome ou de leucémie, mais ce n’est pas la seule. La thérapie cellulaire pourrait éventuellement traiter diverses cardiopathies, le cancer du pancréas et celui des ovaires, la polyarthrite rhumatoïde, la maladie de Parkinson, le diabète de type 1, la sclérose en plaques, un grand nombre de maladies dégénérescentes et héréditaires, en plus de faciliter des greffes de peau chez les grands brûlés.
Le pionnier de la pathologie cellulaire est le scientifique et homme politique prussien, Rudolf Ludwig Karl Virchow (1821-1902). Plusieurs de ses théories sont aujourd’hui infirmées, mais de son traité sur la thérapie cellulaire, Die Cellularpathologie, publié en 1858, on retient cette affirmation célèbre : Omnis cellula e cellula : chaque cellule tire son origine d’une autre cellule. Pour Virchow, la maladie prenait naissance dans une seule cellule qui se multipliait par la suite en cellules malignes.
La découverte des cellules souches date d’au moins une quinzaine d’années, mais celle des CSE est cependant beaucoup plus récente. On la doit à un scientifique de l’Université du Wisconsin, James Thomson, qui travaillait dans une clinique de fertilité. En novembre 1998, Thomson réussissait à isoler des cellules souches sur un embryon surnuméraire. Il a alors établi la première lignée de CSE. L’année suivante, on découvrait que les CSA, que l’on avait cru jusque-là unipotentes, étaient pour certaines d’entre elles multipotentes. Des scientifiques supposent qu’il existe aussi des CSA pluripotentes, mais cette hypothèse est loin de faire l’unanimité dans la communauté scientifique.
Multiplication et division
À l’heure actuelle, bien que le potentiel des CSA semble plus élevé que ne le laissaient supposer les premières découvertes, la culture de CSE est essentielle pour l’application éventuelle de tous les traitements attendus. D’une part, les CSA sont plus rares et plus difficiles à dépister et leur plasticité n’est pas aussi étendue que celle des CSE. Le pouvoir de différenciation d’une CSA se limite encore à certaines spécialisations, alors que la CSE est capable de se spécialiser dans n’importe lequel des 200 types cellulaires qui structurent l’organisme humain. D’autre part, les CSE croissent plus facilement en culture et les lignées établies sont moins périssables.
Les perspectives séduisantes de la multiplication des données et des combinaisons n’empêchent cependant pas la division des esprits. Partout dans le monde, les opposants à l’utilisation des CSE sont nombreux. De façon générale, pour eux, tout œuf fécondé est une personne à part entière et la seule chose qui différencie un embryon, d’un fœtus et d’un bébé, c’est le temps. Pour les scientifiques et les malades, le temps est déjà révolu; seul cet amas cellulaire sans vie neurologique, destiné au rebut, est susceptible de remonter le cours de l’existence et soulager la souffrance.
Malgré l’ampleur de ce débat, l’utilisation légale de CSE à des fins de recherche se poursuit. Parmi les pays étrangers, l’Allemagne, la Belgique, la Chine, la Corée du Sud, le Danemark, la Finlande, la Grande-Bretagne, les Pays-Bas, Singapour et la Suède l’autorisent. Aux États-Unis, elle est interdite de financement avec les fonds publics, mais libre de toute contrainte pour l’entreprise privée. Au Canada, l’utilisation de CSE a été légalisée en mars 2004 avec l’adoption de la loi C-6 concernant la procréation assistée et la recherche connexe. Elle est régie par des principes directeurs clairement définis qui respectent toutes les règles d’éthique. À titre d’exemple, le consentement des donneurs se fait en présence d’une tierce partie qui exclut les chercheurs, de manière à prévenir toute forme de pression.
Réseau de cellules souchesLe Réseau de cellules souches
Le Réseau de cellules souches est un organisme canadien autonome sans but lucratif qui regroupe près de 75 spécialistes : cliniciens, ingénieurs et éthiciens renommés. Il a obtenu un financement de démarrage dans le cadre du programme canadien des Réseaux de centres d’excellence, et des partenaires publics et privés y collaborent. Ses spécialistes travaillent en collaboration avec des chercheurs du monde entier. Le RCS a pour mandat d’investiguer les ressources potentielles des cellules souches pour le traitement de maladies incurables au moyen des méthodes traditionnelles. En septembre 2005, deux de ses chercheurs ont mérité le prix Lasker, le plus prestigieux prix de recherche en médecine fondamentale.
Selon le professeur Michael Rudnicki, « le Réseau a suscité, à l’échelle du pays, une coopération active qui nous place dans une position privilégiée pour participer aux percées thérapeutiques futures. Cette attitude reflète bien la culture canadienne qui se caractérise par un esprit de tolérance et de collaboration ouverte, capable de surpasser l’individualisme farouche et la compétition outrancière. » Le directeur scientifique, qui est également directeur du programme de medicine moléculaire à l’Institut de recherché en santé d’Ottawa, se réjouit de la loi C-6, d’autant que les principes directeurs qui l’encadrent garantissent la qualité de la recherche canadienne et le respect des valeurs éthiques. Pour lui, le don d’embryons surnuméraires humains équivaut à un don d’organes. « La mort d’un enfant ou d’une personne aimée est certes douloureuse, mais elle semblera moins vaine si elle a, un tant soit peu, servi à prolonger une autre vie ou à alléger sa souffrance. »
Travaillant lui-même sur les mécanismes de régénération des tissus musculaires, le professeur Rudnicki s’intéresse plus particulièrement aux découvertes fondamentales, parce que, dit-il, « le corps humain constitue le laboratoire le plus complexe et le plus concret qui soit pour aborder l’univers qui nous entoure, et quoi d’autre cherchons-nous vraiment, sinon de comprendre cet univers? ». Son but, comme celui du Réseau, est d’en arriver à « stimuler les CSA qui se trouvent dans tous les organismes humains, y compris dans celui des personnes très âgées. Toutefois, pour saisir et contrôler parfaitement le fonctionnement des CSA, l’utilisation légale des CSE s’avère essentielle; non seulement pour accélérer la recherche, mais en assurer aussi la qualité. »
Quel message Michael Rudnicki souhaiterait-t-il transmettre? « Que les gouvernements et les citoyens comprennent l’importance de subventionner les universités, de poursuivre la recherche de l’excellence pour le bien-être du pays et pour les citoyens eux-mêmes. L’université est le seul lieu où l’on apprend à penser et à découvrir librement, à thésauriser diverses facettes de la connaissance transmise par des acteurs multiples. »
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Anne-Marie Desrape est rédactrice à la pige à Montréal.
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Un nouvel obstacle pour les chercheurs canadiens
En octobre 2005, la Corée du Sud, championne mondiale du clonage, la Grande-Bretagne et les États-Unis ont annoncé la création de la World Stem Cell Foundation, qui recueillera des cellules souches à partir d’embryons humains clonés. Les cellules, collectées à Séoul, seront ensuite vendues à des chercheurs qui n’ont pas le droit de procéder eux-mêmes au clonage dans leur propre pays.
Le but de la fondation est de contourner la loi et de faire avancer la recherche, mais les scientifiques canadiens ne pourront emboîter le pas, au risque de se retrouver derrière les barreaux.
La loi canadienne, l’une des plus sévères au monde, interdit non seulement la création d’embryons à des fins de recherche, mais elle défend également aux chercheurs d’importer des cellules souches produites par des méthodes considérées comme criminelles. Elle s’applique tant au secteur public que privé.
En s’excluant de la World Stem Cell Foundation, le Canada complique la collaboration des chercheurs canadiens avec leurs collègues de l’étranger. Certains, dont le professeur Rudnicki, ont demandé au gouvernement de réévaluer la loi le plus tôt possible.
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