Salut Ben,
Rubis donc, et toute jeune encore. De quelle race s'agit-il ? Elle me fait furieusement penser au chien qui avait accompagné toute ma jeunesse, il s'appelait Furax et était le croisement improbable entre un berger allemand à pédigrée (son papa) et un boudin sur pattes dont il était impossible de deviner les gènes (sa maman). Comme je prenais un malin plaisir à essayer de lui piquer les fémurs de bovins dont le boucher nous faisait régulièrement cadeau, j'en conserve quelques cicatrices sur le visage : quel meilleur souvenir aurais-je pu espérer garder de lui ?
Cette absence de corrélation entre ce que montrent les IRM et l'état clinique du patient a un nom, on appelle ça le "paradoxe clinico-radiologique" (clinico-radiological paradox en anglais, ça passe mieux dans les moteurs de recherche). Ce concept de paradoxe clinico-radiologique avait été exploré entre autres, en son temps, par Frederick Barkhof, connu par ailleurs pour avoir "inventé" toute la partie relative aux critères IRM (qu'on appelait pour cette raison les critères de Barkhof) annexée aux premiers critères de McDonald. Ce paradoxe n'est guère nouveau, puisque l'IRM montre de façon assez fidèle ce qu'on pourrait voir si on t'ouvrait le crâne la maintenant tout de suite, or ouvrir le crâne, en particulier d'un défunt pour une autopsie, ça se pratique depuis quelques siècles... T'avais-je signalé à ce sujet que lors des autopsies "tous-venants", quand on a l'occasion d'ouvrir la boîte crânienne d'un défunt quelconque pour regarder à l'intérieur, on rencontre au moins deux fois plus souvent des lésions caractéristiques de la sep, que le nombre auquel on devrait s'attendre par simple règle de trois avec la prévalence de la sep ? Ce qui signifie que tu aurais au moins une sep sur deux qui n'est jamais diagnostiquée : certes, elle provoque des lésions, mais jamais de symptôme suffisamment "visible" pour être diagnostiquée.
Sandra Vukusic propose quant à elle qu'il y aurait un seuil, en termes de lésions, en deçà duquel l'apparition de lésions ne s'accompagne pas de symptômes et que ce n'est qu'une fois ce seuil dépassé que les symptômes apparaîtraient (plasticité cérébrale et effet de seuil). Il est également possible que le massacre de certaines régions du SNC ne s'accompagne pas, ou alors exceptionnellement, de symptômes.
Barkhof, de son côté, est persuadé qu'il est passé à côté de quelque chose, et il a passé un moment à essayer d'affiner ses critères radiologiques (notamment à travers diverses variations sur les critères de prises de vues, de puissance magnétique de l'IRM, etc.) à la recherche de son Graal. Si tu regardes cependant l'évolution des études qu'il publie, il semble avec le temps avoir quelque peu jeté l'éponge de cette hypothétique unification entre la radiologie et la clinique, pour s'intéresser à d'éventuels marqueurs pronostiques (IRM toujours, car Barkhof est à la base un radiologue, mais il a également largement étendu ses recherches à d'éventuels marqueurs biologiques). Bref, son Graal ne consiste pas tant à résoudre le paradoxe clinico-radiologique, qu'à parvenir à pronostiquer l'évolution de la sep du patient qu'il a en face de lui. Il avait cru y arriver avec l'IRM (je me rappelle fort bien qu'au début des années 2000, l'idée de pronostiquer la sep par analyse de l'évolution visible sur plusieurs IRM successives avait le vent en poupe...), ce foutu paradoxe lui a mis des bâtons dans les roues, alors il essaye d'autres trucs.
Là où ça devient marrant, c'est que ces lésions que montrent l'IRM sont également une des deux mamelles, l'autre étant l'évolution clinique, que retiennent pour juger de son efficacité les études qui visent à obtenir la
FDA approval d'un traitement de fond (une fois l'approbation de la FDA obtenue, celles de toutes les autres autorités locales tombent automatiquement, en cascade). On vient de remarquer son absence totale de pertinence, et donc on l'utilise comme pilier pour juger de l'efficacité du traitement : nous vivons dans un monde merveilleux.
Toutes ces connaissances ont la fâcheuse habitude d'aboutir à la conclusion qu'
on ne sait pas : dès que tu crois atteindre le sommet, le rocher roule au bas de la montagne (histoire connue...). Dans cette perspective, ton propos sur l' "étendue de mes connaissances" est fort aimable, mais sois conscient qu'il me laisse évidemment un goût amer

. Arriver à se projeter, à anticiper signifie selon moi et pour aller au plus direct, arriver à obtenir un pronostic individuel, son propre pronostic individuel : après le mythe de Sisyphe, tu pourras t'intéresser à celui de Prométhée

(avec Barkhof dans le rôle-titre...). C'est justement la plus grande beauté poétique que la sep apporte dans ses bagages quand elle vient emménager chez toi : l'ignorance de ton devenir. Qu'est-ce, en comparaison, qu'une certitude pronostique, par exemple celle qu'entraîne un diagnostic de cancer du pancréas : que pourrait-elle bien apporter de plus ? A part des raisons de déprimer, je ne vois pas...
Il existe tout de même, mais à considérer au cas par cas, des probabilités plus ou moins fortes de ce à quoi tu peux t'attendre. Par exemple dans mon cas, n'ayant plus fait de poussée depuis plus de vingt ans, il est très peu probable que je refasse un jour une poussée. "Peu probable" ne signifiant évidemment pas "impossible"

... Une autre probabilité peut également venir de PIRA (
Progression Independant of Relapse Activity, i.e. la progression à bas bruit de la neurodégénérescence qui se manifeste certes dès les premiers stades de la maladie, mais constitue l'essentiel des dégâts dans les phases progressives. Le rythme de cette neurodégénérescence (perte axonale) est mesurable relativement facilement sur des IRM successives, et il y a des rythmes plus ou moins rapides : si certains sépiens présentent des rythmes de dégénérescence moins rapides que le sujet sain moyen, en moyenne je crois qu'on serait plutôt dans un rapport de 1 à 5, avec une atrophie cérébrale cinq fois plus rapide donc pour la moyenne des sépiens, que pour la moyenne des sujets sains. Plus tout à fait sûr si ce rapport est exactement de 1 à 5, mais tu as l'idée. Si tu mesures régulièrement ce rythme d'atrophie cérébrale et que celui-ci reste relativement stable au fil des années, tu peux envisager qu'il conservera ce même rythme par la suite, mais à quoi cela t'avancera-t-il (retour à la case cancer du pancréas...), sachant en particulier l'absence de tout traitement efficace pour modifier ce rythme ?
Ma dernière IRM cérébrale remonte à cinq ans et pour une autre raison que la sep (surdité brusque) ; ma dernière IRM de suivi de sep remonte à quelques années plus tôt et je ne m'en rappelle même plus la date :
à quoi cela m'avancerait-il d'essayer de savoir ?
Je comprends mieux pourquoi mon neuro ne peut pas me répondre: il ne sait pas.
Ton neuro est un homme sage

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A bientôt,
JP.